L’énergie qui circule lors de ce 5e atelier est différente que lors de ma première venue. L’élan d’une sororité naissante est palpable dans une ambiance décontractée : ce qui est rassurant pour moi, celle qui doit recueillir des témoignages des participantes. Dans sa visée d’offrir une expérience de réappropriation de soi par le mouvement, ÇA danse en MOI! devient un lieu où tout peut éclore. Et c’est à travers les mots généreux de celles qui vivent cette expérience que l’on peut saisir toute l’ampleur de ce qui peut se dénouer.

La louve solitaire

Lise a 75 ans. Elle a toujours ce sourire accroché aux lèvres lorsqu’elle arrive à l’atelier. Elle y vient religieusement à vélo, activité qui lui permet de s’ancrer dans le moment présent. Ce sentiment, elle le retrouve aussi dans le cadre de ÇA danse en MOI! « La danse est pour moi un espace physique, mais aussi de liberté. Je fais aussi du Qi Gong qui est une discipline assez rigide alors qu’ici, je fais les mouvements que je veux. »

Avec les réalités de son âge, elle m’avoue trouver cela dur. « Je n’ai pas une voix très forte à cause d’un accident plus jeune. J’entends moins et je vois moins bien. C’est sûr que mon corps vieillit aussi. J’essaie de me garder en forme. »

Se décrivant comme un loup solitaire, Lise a cette crainte de ne pas être acceptée. Une peur qui lui vient du fait qu’elle soit une enfant adoptée, suppose-t-elle. Pourtant, elle se retrouve parmi un groupe qui lui fait du bien. « J’apprécie rencontrer des gens et il y a des moments comme celui-ci propices aux belles rencontres. Les groupes de mon âge, c’est du bavardage et je suis beaucoup moins à l’aise avec ça. La seule chose dont j’ai peur, c'est de prendre trop de place, ce qui peut arriver. Quand je me sens bien, ça se déverse. »

Mais rien n’efface la connexion ressentie avec de parfaites inconnues : un moment gratifiant dans lequel on se découvre et on s’écoute. « Quand on danse, on arrive dans un espace spécial avec les autres, un espace dans lequel tout le monde est présent. C’est une sensation que je n’ai pas l’occasion de ressentir souvent. C’est le genre de sensations que l’on peut ressentir dans des ébats amoureux. Il y a une magie qui s’opère. »

Malgré la mise à nu qui peut être parfois difficile, Lise s’observe dans les mouvements qu’elle pose, qui ne sont pas anodins selon elle. Ces mouvements parlent d’eux-mêmes et elle s’exprime à travers eux. « J’en avais la larme à l’œil dès le début d’avoir la possibilité de bouger mon corps. Je vais être reconnaissante. Et je me dis que je dois me donner d’autres espaces comme celui-ci, car c’est précieux pour moi. »

Un corps libre 

Pour Martine, c’est le désir de se mettre en mouvement et la thématique de réappropriation du corps qui ont animé sa décision de s’inscrire à l’atelier. Les doux souvenirs d’enfance associés à la danse n’ont été qu’un incitatif de plus. De même que le fait qu’il s’agisse d’une initiative en lien avec le CAVAC. « Je me suis dit qu’il allait y avoir d’autres personnes ayant le même parcours de victimes d’actes criminels, mais qui veulent s’en sortir. Ça faisait un milieu plus sécuritaire pour moi d’être en compagnie de personnes qui ont développé une certaine sensibilité. Ça valait la peine de venir ici, plus que d’aller m’inscrire dans un autre cours. Je ne voulais pas ajouter cela à la détresse que je vivais. »

Selon elle, le cadre offert possède des similitudes avec son expérience d’éducatrice auprès des jeunes. Ce qui est mis de l’avant et qui la rejoint est d’être ensemble dans le moment présent. « Je pensais qu’il y aurait des rôles très définis, alors que c’est une exploration partagée, que l’accent est mis sur le fait de vivre l’activité sans comparaison, compétition ou discrimination. » 

Avec la présence de l’intervenante Annick Cartier, ce lâcher-prise peut pleinement avoir lieu. « Le fait de savoir qu’il y a une personne-ressource me permet de continuer l’atelier sans me sentir coupable. Il est parfois difficile de continuer à avoir du plaisir si quelqu’un vit une détresse. Ça m’évite de tomber dans mes propres pièges. »

Toutefois, un défi subsiste pour la participante : l’acceptation corporelle. « Je souffre d’obésité et il y a certains exercices qui sont plus difficiles à faire pour moi. J’ai décidé de ne pas me mettre de côté non plus et de continuer à bouger comme je pouvais, mais au niveau de l’image corporelle, ça peut venir déclencher des choses. »

Après tout, son objectif initial est bien de se réapproprier son corps et c’est ce qui est en train de se mettre en place. « Je n’ai jamais eu ce sentiment de liberté dans mon corps et c’est un désir. Mon souhait serait de continuer la danse, de prendre du temps pour confirmer que c'est ce que je veux. »  

« La vérité passe toujours par le corps »

Le chemin qui a mené Cécilia Maï à s’engager dans cette expérience fut parsemé de questionnements. En naviguant entre les différents états dus à son histoire intime, elle en est venue à se dire que notre corps est le réceptacle de nos émotions. Que ce soit la dissociation, le déni, la colère et maintenant la tristesse (saine) qu’elle ressent aujourd’hui. « Dans tout mon processus lié aux traumas, les vérités sont toujours sorties par le corps. Et ça fait un bout que je me demande comment je peux transformer cela, mais jusqu’à maintenant, je ne me sentais pas assez solide toute seule. »

Étant familière avec la démarche de Sarah Dell’Ava, Cécilia Maï a compris que cet atelier pouvait devenir l’espace de transformation recherché dans son travail face à ses traumatismes de vie. Dans sa forme, l’atelier de médiation culturelle ÇA danse en MOI! est parvenu à apaiser une grande insécurité chez la jeune femme.  « Étant donné que tout sort par le corps, j’avais peur que ça sorte mal. J’étais rassurée d’être dans l’exploration du corps avec des femmes qui ont aussi des traumas. » 

En outre, il était évident pour elle que tout était mis en œuvre pour offrir un espace sécuritaire. « J’ai l’impression qu’il y a un dialogue constant entre Annick, Justine, Sarah et Laurie-Anne, qu’il y a une sorte d’unité sur ce socle qu’elles ont construit ensemble. Je me sens sécurisée à plein de niveaux. » Il semble y avoir un doux équilibre entre le travail créatif des chorégraphes Sarah et Laurie-Anne, et l’accompagnement émotif de l’intervenante Annick. De par son rôle de coordonnatrice, Justine agit comme une maîtresse d’orchestre s’assurant du respect de l’intégrité des unes et des autres. 

Comme l’a souligné Martine, l’empathie se manifeste lorsqu’une autre personne vit quelque chose de difficile. Cécilia Maï tend à adopter cette posture et la présence d’Annick ainsi que la confiance que celle-ci est parvenue à bâtir, lui enlève un poids. « Je suis très impressionnée par  la vitesse à laquelle une confiance mutuelle s’est installée. Les facilitatrices nous indiquent de façon très ouverte les espaces que l’on peut explorer et à quel point on peut se permettre d’explorer des choses sans jugement. »

Ce n’est pas l’aboutissement du parcours qui est dans la ligne de mire de Cécilia Maï. Lorsque je lui demande ce qu’elle espère garder de cette expérience,elle affirme qu’elle a déjà gagné quelque chose. « Dès la première séance, j’ai beaucoup pleuré parce que j’arrive à partager cela. J’arrive à être connectée à d’autres personnes. J’avais l’intuition que c’était possible et là, je me rends compte que je suis en train de le vivre. Dès la première séance, j’étais déjà fière de moi. »

par Rose Carine Henriquez

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1 commentaire

  1. J’estime qu’il n’y a pas de honte à se dévoiler. Cela est très bon de porter à sa propre connaissance et à celle des autres la puissance de l’humiliation. C’est encore mieux de vivre dans la lumière en osant s’exposer sérieusement ❣️

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