Manifeste de la douceur

Le projet de médiation culturelle ÇA danse en MOI!, collaboration entre Circuit-Est centre chorégraphique et le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) de Montréal, a pleinement pris son envol lors de ce deuxième atelier du 16 février dernier. Ce sont les prémisses d’une rencontre qui s’échelonnera sur les trois prochains mois. Dans cet espace soigneusement pensé autour de la bienveillance pour accueillir l’être dans toute sa sensibilité, les participantes – traversées de leur histoire individuelle –, sont guidées par la chorégraphe Sarah Dell’Ava, l’assistante chorégraphe Laurie-Anne Langis et l'intervenante Annick Cartier (ayant une maîtrise en psychoéducation). Ces dernières se confient sur leur rôle dans cette expérience aussi révélatrice pour elles que pour les personnes qu’elles accompagnent.

Une approche humaniste

Dans son processus, la chorégraphe Sarah Dell’Ava est attentive au temps qui passe et aux relations qui finissent par prendre forme et par se dévoiler. Pour elle, dans un atelier comme celui-là, le premier mois est une histoire de rencontre – fil rouge de ce second atelier où à travers les propositions d’explorations, les participantes se découvraient mutuellement –. La notion d’exploration arrive dans le second mois pour ensuite ouvrir la voie à une mise en forme créative, s’il y a lieu.  

Guidée par la pratique du mouvement authentique, qui inspire sa propre démarche d’artiste, Sarah invite les participantes, à travers une série d’exercices pour se tourner vers soi. « On peut faire jaillir le geste à partir de ce qu’on sent à l’intérieur, d’où le titre du projet. » La chorégraphe accorde également une grande place au jeu et à la spontanéité, ce qui permet entre autres de faire tomber les barrières entre soi et l’autre. « Quand on travaille avec cette intériorité, on peut se sentir isolées et il peut y avoir une peur reliée à l’autre et à la rencontre, donc on crée des espaces de jeu pour que le dialogue devienne plutôt enrichissant. »

Durant les prochaines semaines, s’apprivoiser les unes les autres sera en filigrane du processus créatif et la disponibilité est une notion qui apparaît très importante pour la chorégraphe. « [Je désire] ressentir ce qui se passe entre nous et nous amener dans un espace de poésie, de confiance et d’exploration qui comporte un certain risque d’une certaine façon, car on entre dans l’inconnu. »

Il s’agit d’un exercice qui demande de l’écoute et de l’adaptation, ce dont Sarah Dell’Ava a parfaitement conscience. Tout ne fonctionnera pas. En même temps, des possibilités sommeillent déjà dans ces interactions, formelles ou informelles. Par exemple, le fait que ce soit un groupe composé uniquement de femmes crée déjà des images inspirantes pour la chorégraphe. « La création s’adresse à des personnes qui ont vécu certaines choses et sans que ça en devienne le thème principal, il y a un aspect qui nous inspire à la transformation, à prendre en estime notre force intérieure, notre énergie de vie personnelle et vraiment inviter la douceur et l’écoute dans le studio comme une manière de guérir ce qui est plus noué en nous. »

Créer un filet de sécurité

Tandis que l’expérience prend ses formes, la présence de l'intervenante Annick Cartier, à l’origine de l’idéation du projet (avec Sarah Dell’Ava), se révèle indispensable. Cela envoie le message que le vécu et surtout l’acceptation des émotions, sont valides. Avec son bagage en danse et son expérience professionnelle auprès des personnes suivies par le CAVAC, elle agit comme une gardienne de l’état émotionnel des participantes au moyen de plusieurs techniques. 

« Mon but est qu’elles aient une expérience nourrissante, positive et qu’elles orientent ces ateliers vers des objectifs qu’elles ont en tête, au niveau de la réappropriation du corps, au niveau de l’expression de soi et de la libération des émotions. En même temps, l’intention n’est pas nécessairement de faire de la thérapie ici. » C’est pour cette raison que la condition d’avoir un suivi externe est requise.  

De façon concrète, au début et à la fin de chaque atelier, Annick préside un cercle de parole où les participantes sont invitées à exprimer une émotion ou un état. Aussi, dans un coin du studio, est érigée une aire bien-être aménagée de plusieurs outils leur permettant d’effectuer de l’autorégulation lorsqu’une situation le demande. Dans une boîte disposée dans cet espace de retrait, on retrouve des techniques de respiration, de visualisation, des balles antistress ou des accessoires de yoga. « Si cela ne fonctionne pas, la deuxième étape, c’est moi. Là, je vais à l’extérieur du studio et je vais faire de la co-régulation avec elles. Le but c’est d’accueillir tout ce qui émerge et qu’elles puissent retourner dans le cours. » Bien sûr, rien ne garantit le succès de ces interventions sur le moment. Annick devient alors une intermédiaire auprès des intervenantes externes.

En plus de briser l’isolement et de favoriser l’estime de soi, les moyens alternatifs somatiques incluant la danse sont de plus en plus reconnus comme complémentaires avec l’intervention verbale, selon Annick. « De mon côté, ce que j’ai vu et selon des données probantes aussi, cela joue au niveau de la réappropriation de son corps, permet de se reconnecter aux empreintes traumatiques dans le corps et les accueillir avec bienveillance, ce qui permet la guérison selon le rythme de chacun. »

Un rôle de facilitatrice

L’artiste et chorégraphe Laurie-Anne Langis estime, quant à elle, être à sa place dans ce projet de médiation, du fait que c’est un processus de mise en relation qu’elle utilise déjà dans son travail artistique. De plus, cela rejoint ses propres questionnements notamment sur la possession de son corps et de sa parole. « Dans la démarche de Sarah et dans la mienne, on retrouve ce profond désir de reconnexion avec son soi profond, sa vérité, mais aussi avec l’autre, donc de créer un espace permissif qu’il n’y a pas souvent en société. Je trouve ça assez puissant. »

Dans l’atelier, Laurie-Anne guide entre autres les échauffements. « J’initie la mise en corps, la mise en imaginaire, qui active un peu l’espace et l’espace intérieur des participantes. Ensuite, je suis là pour suivre Sarah dans la création, lors des rétroactions, par exemple. » On peut voir aussi Laurie-Anne bouger et se fondre parmi le groupe agissant comme un exemple et une figure d’encouragement. « Je sers d’élan à être libre, à profiter de ce moment pour aller éveiller cette curiosité du corps. »

Ce rôle de facilitatrice lui est familier, car elle l’exerce avec ses collaborateurs et ses collaboratrices. C’est ce qui permet d’être sur la même longueur d’onde avant de se lancer dans une création. Toutefois, le contexte ici est différent. « Ça me permet d’apprendre à connaître les gens, de voir dans quoi ils sont confortables ou inconfortables, de comprendre un peu les besoins de leurs corps. Ça me permet de saisir comment ils s’investissent dans le mouvement. »   

Tout en ayant hâte d’explorer le volet création avec les participantes, Laurie-Anne souligne le fait qu’une expérience comme celle-ci démocratise l’art contemporain et son pouvoir curatif. « Je trouve que la danse et le contact avec son propre corps vont souvent révéler plein de choses émotionnellement. Juste le fait de travailler sa posture va changer son état d’être et c’est vraiment important par rapport à ce que je veux offrir dans ce projet. »

par Rose Carine Henriquez

Photo : ÇA danse en MOI! © Circuit-Est centre chorégraphique

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *