Le 29 avril dernier, aux côtés des parents et ami·es des participantes au projet ÇA danse en MOI !, j’ai assisté à la clôture d’une traversée qui aura duré près de trois mois. À l’origine, elles étaient de parfaites inconnues, alors qu’en ce jour de célébration, ce sont des femmes complices qui performent devant nous. Elles ont pris leur vulnérabilité à bras le corps pour s’engager dans ce projet de réappropriation et de rencontre. Cette manifestation vient cristalliser le travail de chacune, de manière individuelle et collective.
En observant le groupe durant l’échauffement, toujours guidé par Laurie-Anne (assistante chorégraphe), il est difficile d’ignorer la joie sous-jacente et la complicité à travers les rires qui s’échappent parmi les relâchements. Comme l’explique par la suite la chorégraphe Sarah Dell’Ava, l’ensemble chorégraphique présenté est une sorte de collage de certains exercices qui ont parsemé leur parcours et leur découverte. Cette suite de mouvements crée une fresque abstraite, mais chargée émotionnellement. Nous sommes témoins de moments de flottement, de douceur, d’exploration libre qui souligne la connexion entre les participantes.
On assiste à un cercle d’expression puissant dans lequel se manifestent des liens souverains, ancestraux, combattifs. Les séquences de groupe sont particulièrement puissantes, chaque participante semblant tirer une force insondable dans la présence des autres. D’ailleurs, Lian exprime bien cette idée lorsqu’elle décrit la manière dont son apprentissage s’est déroulé dans la bienveillance du groupe et l’impact que cela a eu sur elle.
Être plus que son histoire
Durant la discussion suivant le spectacle, des thématiques comme l’écoute de soi, ainsi que de ses besoins, ont été soulevées. Il est apparent que des barrières personnelles ont cédé durant le processus. Par exemple, elles ont appris à reconnaitre les déclencheurs d’émotions négatives. Elles ont appris à embrasser la liberté de faire leur propre choix. Ce choix s’exprime par exemple à travers les mots de Malorie. Bien qu’elle ait vécu l’expérience du début à la fin, elle a tracé ses limites et a choisi de ne pas participer à la performance finale. En l’écoutant expliquer ce choix, la notion de pouvoir prend tout son sens. Le pouvoir de se choisir avant tout.
En écoutant chaque participante témoigner de ce qui a émergé de cette expérience, j’en viens à la même conclusion qu’elles : nous sommes plus que nos histoires et notre souffrance n’est pas une finalité en soi. Cette prise de conscience semble être commune. On convient qu’il existe une force radicale dans l’acceptation de ce qu’on ne peut pas changer.
Se libérer à travers son corps
Avec son intention de permettre aux participantes de se réapproprier leur corps, le projet met en relief que c’est par ce corps qu’on reçoit le monde : les joies comme les peines. Certains traumatismes sommeillent dans notre chair et ressurgissent dans des hasards. Les histoires personnelles des participantes leur appartiennent, mais l’on comprend que ça n’a pas été toujours un long fleuve tranquille de se laisser aller aux propositions de Sarah Dell’Ava. Certains mouvements ont ravivé des blessures enfouies. Pourtant, elles sont revenues, semaine après semaine, cherchant à dénouer les fils qui les retiennent dans leur passé.
Un public réceptif et un acte nécessaire
On se sent très humble en tant que spectateur et spectatrice. D’ailleurs, dans le public, certaines personnes ont souligné l’accessibilité des émotions transmises. En effet, nous assistons à cette performance avec nos propres histoires. Il est clair que cela en a touché plus d’un·e. La reconnaissance envers ces femmes qui ont accepté de se montrer vulnérables était palpable. C’est un privilège d’avoir droit à ce regard sur l’intériorité, un privilège qui demande du respect. Cette phrase entendue dans le public résonne encore: « C’est une guérison pour nous aussi. »
Ce projet est un exemple à quel point il faut continuer de favoriser ces immersions artistiques. L’art vivant (comme tous les autres arts) n’appartient pas seulement à ceux et à celles qui en ont fait un métier. Son caractère universel rend ces rencontres essentielles, nous permettent de nous créer des lieux pour prendre soin, pour résister à ce que le système nous impose, comme carcan, comme silence, comme peur. Être témoin de ces rencontres est pour moi, un privilège.
par Rose Carine Henriquez