Jeudi soir, le 10 mars. C’est le deuxième atelier chorégraphique animé par le chorégraphe Sylvain Émard à Circuit-Est centre chorégraphique qui réunit une quinzaine de jeunes affilié·es à l’Espace Transition du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine. L’initiative a pris son envol en 2009 avec l’objectif d’offrir des ressources de réadaptation à travers les arts de la scène à des adolescent·es et de jeunes adultes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Durant plusieurs semaines, ils seront accompagné·es par Sylvain Émard et Claudia Chan Tak, interprète et artiste pluridisciplinaire. Le 30 avril prochain, ils et elles présenteront le résultat de leur labeur; ils et elles en sortiront sans doute grandi·es de cette expérience de partage autour d’une discipline rassembleuse : la danse.
Il s’agit peut-être d’une coïncidence, mais c’est également en 2009 que Sylvain Émard lance l’œuvre hybride Le Grand Continental au Festival TransAmériques (FTA). Une création à grand déploiement à la croisée de la danse en ligne et de la danse contemporaine mettant en scène des danseurs et des danseuses non professionnel·les de tous âges et de tous horizons. Cette création a connu plusieurs itérations jusqu’au Petit Continental, une version condensée sous forme d’atelier chorégraphique. Cette version est celle que les jeunes devront s’approprier.
La démarche de Sylvain Émard puise dans l’idée de célébration par la danse, par la jubilation des corps et les élans instinctifs de celui-ci. En même temps, ses chorégraphies dégagent un ordre savoureux qui révèle la beauté dans les suites d’enchainements et dans la symbiose de séquences. En tant qu’observatrice qui relatera dans plusieurs textes les dessous de cette aventure, il me tardait de découvrir ces jeunes dans leur statut d’apprenant·e à la rencontre d’un chorégraphe reconnu dans son statut d’enseignant.
Pour ce deuxième soir d’apprentissage, il y a Jack, Nikita, Julia, Luis Alonso, Laetitia, Ivan, Isabelle et Vyom. Lorsque la répétition débute, je suis assise face au groupe, dans une posture d’épieuse. Dans les premières minutes, ce qui frappe, c’est la curiosité palpitante qui se déploie en une tonne de questions. « Extrêmement précises », plaisante Sylvain. On sent la volonté sincère de connaître la logique qui se cache derrière chaque mouvement et la manière de réussir à construire un sens avec son propre corps. À faire que ça coule de source. Ce corps est unique, de même que le bagage en danse qui s’y inscrit. Comme pour Ivan dont c’est le premier contact avec la danse contemporaine. Cet état des choses ne l’empêche pas d’apprécier le sentiment de calme qui l’envahit lorsqu’il danse.
Voir la danse
Devant le flot d’amusement qui a lieu devant moi, je finis par poser mon carnet de notes et mon stylo afin de rejoindre la ronde. Pourquoi ces jeunes seraient les seul·es à se mettre dans cette position de vulnérabilité ?
Entre les moments de discussions spontanées qui se glissent dans l’enchainement des phrases chorégraphiques, l’on rit un peu et l’on fait remarquer que de donner des petits noms aux différents mouvements, rend la mémorisation plus facile. Il semblerait que ce soit la technique privilégiée par Claudia Chan Tak qui avait animé la première rencontre en solitaire le 24 février dernier. Une méthode rapidement adoptée par Sylvain Émard et applaudie par les participant·es. Il apparait en effet plus aisé de trouver un ancrage dans des images connues pour se projeter dans les réactions que notre corps devrait produire. Partager ce lexique commun et humoristique semble faciliter la compréhension, les acquis techniques et même la reconnaissance des sensations que l’on devrait éprouver.
La poule. Le plateau de soupe. La neige. Le mal de ventre. Regarder. Oh my god. La nage. Serrer le coussin.
Il s’agit d’une énumération de mots ou d’expressions qui n’ont, en apparence, aucun lien entre eux. Chaque mouvement ne possède pas son nom propre, mais l’intégration de ces références permet de rappeler que dans le fait de bouger, il y a cette notion de jeu. En observant l’appropriation que les participant·es se faisaient de ces éléments, tirés du quotidien, il m’a semblé que toute crainte s’était envolée. Ils et elles apprennent tellement vite, se réjouit le chorégraphe.
Le plus gros du travail semble être terminé. Dans les prochaines semaines, il s’agira de laisser le corps prendre le relais de la tête et de plonger à pied joint dans l’abandon que procure la danse.
Par Rose Carine Henriquez
Rédactrice